Dimanche 16 août 2020
Fr. Franck Dubois, dominicain
Eglise Notre-Dame de la Nativité, La Turballe (44)
Savez-vous comment on dit « miette » en anglais ? Une façon de le dire, c’est « crumb ». Et qu’est-ce qu’a donné le mot « crumb » ? Eh bien, le nom de ce délicieux gâteau fait de miettes justement… le « crumble », aux pommes, aux poires ou ce que vous voulez. Le crumble, c’est la preuve culinaire que les miettes peuvent être salutaires, si on ne les gaspille pas.
Aujourd’hui, une femme ne veut pas perdre une miette de ce que Jésus peut lui donner. Elle est sans doute bonne cuisinière. Elle sait bien que l’on peut faire des miracles, même avec quelques miettes, pourvu qu’on sache les recueillir et les accommoder. Cette femme n’a pas eu droit aux grands discours de Jésus, aux paraboles, aux multiplications de pain. A cause de son origine, elle en était privée. Beaucoup d’autres sont repartis, les pains plein les poches, gavés, repus de l’enseignement de Jésus. Mais qu’en ont-ils fait ? Elle, elle n’a eu droit qu’à des bribes, des échos lointains de ce que Jésus a proclamé, mais elle s’en moque. Elle sait bien qu’avec Jésus, ce n’est pas affaire de quantité. Si Jésus est Dieu, alors tout ce qui provient de lui, chaque parole, chaque geste, est rempli de l’infini divin. Une miette d’infini, c’est encore l’infini. Et l’infini suffit au plus grand appétit.
Cette femme a une belle leçon à nous apprendre, en ces temps de disette. Nous sommes peu, de moins en moins, à fréquenter l’Eglise, peu à croire… le christianisme semble parfois en miette. En anglais, si « crumble » veut dire miette, le verbe « to crumble » veut dire s’effondrer. Effondrée, comme cette femme sous la table, ployant sous le poids de la maladie de sa fille. Effondrée sous la fatalité d’une société qui ne la mettait pas du côté des choisis, des « brebis perdues d’Israël », à qui Jésus était d’abord envoyé. Effondré comme ce fameux « monde d’après » que l’on nous vente, qui risque bien de ressembler à celui d’avant, en plus cruel et en moins juste. La table sans cesse se rétrécit, il y en a toujours plus à peiner en dessous, toujours moins à trôner tout autour. On peut bien désespérer de l’état de notre pauvre monde… Et cependant, sous la table, prosternée, la pauvreté de cette femme faisait sa richesse. Sa seule richesse, c’est sa foi.
Notre monde en miette n’a donc plus que la foi, la foi pour s’en sortir. C’est vertigineux, parce que tant que nous n’avons pas compris la leçon de la femme sous la table, nous sommes encore dans l’illusion qu’il faudra tout reconstruire par nous-mêmes. Mais sans Dieu, nous risquons bien de nous effondrer pour de bon, écrasés par le poids des défis à venir.
Voyez ce qui a poussé cette femme à la foi : la santé de sa fille. Tout vient de là. C’est la volonté de sauver son prochain qui peut ramener notre monde à croire. C’est le bien que nous souhaitons à ceux qui nous sont chers. C’est le souhait que nous avons que tel projet se réalise, que telle personne se convertisse, que telle autre guérisse ou que nous même sachions pardonner, être fort et sage dans l’épreuve. Bref, c’est à force de désirer le bien, et de présenter à Jésus ce désir, que nous recevrons de Dieu lui-même la grâce et la vie. La prière seule nous préservera de l’effondrement.
N’avez-vous jamais, frères et sœurs, murmuré une prière à l’improviste tout bas dans une église, ou allumé un cierge, l’air de rien, à Lourdes ou dans une obscure chapelle de montagne, ou encore déposé un petit bouquet au pied de la vieille croix qui borde le chemin ? Cela nous semblait peut-être un peu dérisoire. Mais aujourd’hui une femme nous rappelle la puissance cachée dans ces miettes de foi. Retenez ceci : il n’y a pas de petite prière. Chaque rencontre avec Dieu, même celle qui semble la plus modeste, est une porte ouverte sur le large infini.
Cette semaine, je nous invite donc à aller visiter la chapelle du bout de la rue ou du fond du vallon, le calvaire du coin, la statue oubliée près de la petite source. Ou bien la plage ouverte sur le vaste horizon. Ou encore la chapelle de votre maison de retraite, de votre hôpital ou de votre prison. Et d’y prier, humblement. Mais n’y allez pas seuls. Emmenez votre cousine agnostique, votre petit-fils curieux mais incroyant, votre ami fidèle qui ne partage plus votre foi. Ne l’étouffez pas par de grands discours ou de longues litanies. Proposez lui simplement d’allumer une bougie, de se tenir quelque temps en silence et de formuler en secret une intention. Et dites-lui que vous priez Dieu qu’il lui accorde cela. Ne lui proposez pas, pas encore, le pain tout entier, juste une miette. Une miette, ça ne se refuse pas.
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