L’Apocalypse, dernier livre de la Bible, en est un des plus célèbres, mais aussi un des plus difficiles à comprendre. Entre visions grandioses et formules énigmatiques, comment comprendre cette étrange expression de la Parole de Dieu ?
Définition
« Apocalypsis », en grec, signifie « révélation ». Un nommé Jean, se trouvant dans l’île de Patmos, déclare avoir eu une révélation, une vision, à la façon des prophètes de l’Ancien Testament, et il la raconte. Vision fantastique : la femme enceinte qui terrasse le dragon, la ville aux murs de saphir et de chrysoprase, les cent quarante-quatre mille sauvés au vêtement d’un blanc éclatant bien qu’ils sortent d’un fleuve de sang…
Beaucoup de lecteurs, donc beaucoup de chrétiens, sont déroutés par ce langage. Certains sont séduits par la puissante poésie de visions qui ont inspiré des générations d’artistes ; ils n’en saisissent cependant pas le sens, comme s’ils avaient devant les yeux un tableau somptueux mais abstrait. Or il n’en est rien. L’Apocalypse a un sens.
Une façon de dire Dieu
Les « visions fantastiques » ne sont pas rares dans la Bible. Le livre d’Ézéchiel en est rempli, ainsi que les autres livres prophétiques. On en trouve même dans l’Évangile, soit que les disciples assistent à un événement merveilleux et étrange, comme la Transfiguration, soit que Jésus évoque le jugement dernier, comme dans l’Évangile de Matthieu. Il s’agit donc d’un genre littéraire connu, courant dans le judaïsme des siècles qui précèdent et suivent Jésus, et dont les manuscrits de la Mer morte ont fourni d’innombrables témoins.
L’auteur ne s’attend pas à ce que son lecteur prenne ces visions au pied de la lettre. Le monde antique est familier d’une lecture symbolique où le chiffre, l’objet, l’animal, la couleur font allusion à autre chose qu’eux-mêmes. Dans l’Énéide, Virgile raconte moins les origines de Rome qu’il ne dessine le règne d’Auguste. De même, dans la Bible, le chiffre 7 signifie « achèvement », le nombre 12 « universalité », l’or l’immutabilité, le rouge le sang, le blanc la lumière divine. Rien de caché ici ; il n’y a pas de secret, seulement un langage figuré d’accès assez aisé.
Du moins à l’époque où ces textes sont rédigés. Car aujourd’hui, deux mille ans après, nous avons égaré les clefs. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous avons une vision positive de la mer qui est symbole de mort pour les juifs anciens ; nous pensons « lumière » à propos du feu alors qu’il évoque plutôt, dans la Bible, la destruction douloureuse, mais purificatrice. Il nous faut
donc redécouvrir ces associations d’idées spontanées aux juifs et aux chrétiens du 1er siècle, et aussi maîtriser l’histoire des débuts de l’Église.
Un contexte
À cause du nom de Jean, nombreux sont ceux qui ont cru que l’auteur de l’Apocalypse est le même que l’évangéliste Jean, ou encore que l’Apôtre Jean, fils de Zébédée. Mais les Pères de l’Église en doutaient déjà fortement. Le prénom Jean n’est pas rare et le fait qu’un livre biblique s’attribue lui-même à un personnage célèbre est des plus courants — ainsi les Psaumes « de David ». Tout ce qu’on sait est que l’auteur est d’origine juive, comme en témoigne la mauvaise qualité de son grec et, en positif, son excellente connaissance des prophètes et des récits évangéliques. Si la mention de Patmos n’est pas très éclairante, les sept « lettres aux Églises » du début désignent sept villes d’Asie mineure (actuelle Turquie), ce qui peut localiser la rédaction.
Pour la date, il semble acquis qu’elle est postérieure à Néron et probablement à Domitien. Cela mène aux années 100-120. Ces deux empereurs servent de repères à cause des persécutions qu’ils ont déclenchées, l’un en 66, l’autre en 96. Mais la prudence reste de mise. L’histoire romaine est aujourd’hui en plein bouleversement et notre interprétation des règnes de Néron et de Domitien a beaucoup changé, aussi bien quant aux événements (persécution systématique ou pas ? Contre les chrétiens ou pas ? Pour quelle raison, au juste ?) qu’au programme politico-religieux de ces empereurs, plus subtil, plus cohérent qu’on ne l’a longtemps cru. Ainsi, c’est probablement Néron qui est désigné par la bête à dix cornes et sept têtes, autant que de provinces dans l’empire, ou encore dans l’ange destructeur « Apollyôn », jeu de mots probable avec « Apollon », le dieu solaire, dieu d’ordre, de beauté et d’harmonie, auquel Néron avait voulu s’identifier, faisant ainsi concurrence au Christ que prêchaient les chrétiens, car pour présenter Jésus à des païens, les prédicateurs comparaient aisément Jésus à Apollon, comme le montrent certains dessins des catacombes…
Même s’il ne faut pas pousser à l’excès cette lecture historique, le contexte est donc assez clair : la jeune Église a connu des persécutions graves et aussi une concurrence religieuse qui a détourné certains fidèles, mais elle s’en est remise, et les ennemis, puissances laïques, puissances religieuses, ont été vaincus et le seront de nouveau.
Un grand espoir
Telle est en effet la trame du livre. Après le sévère avertissement aux communautés d’Asie et, par elles, à toutes les Églises, la vision déploie un grand combat cosmique entre le mal et le bien, représenté par les anges, les quatre « vivants » (assimilés par la tradition aux évangélistes), les cent quarante-quatre mille sauvés (144 000 : 12 x 12 x 1 000, soit l’universalité humaine multipliée par l’universalité humaine multipliée par le plus grand chiffre connu dans l’Antiquité, égale une foule innombrable, une infinité), enfin la Femme et l’Agneau. Le principal ennemi est le grand dragon, animal amphibie, jaillissant de la mer, d’une puissance inouïe — sa queue balaie les étoiles — et immédiatement associé, pour un lecteur juif, à Léviathan, le monstre marin qui symbolise l’anéantissement de la mort et auquel Jésus lui-même a recouru pour annoncer sa mort et sa résurrection. Mais on vainc aussi le faux agneau à deux cornes (faux messies, faux prophètes, tentation d’aménager le message authentique de l’Évangile), ou encore la bête à dix cornes et sept têtes.
Dans ce combat, les fidèles ne sont pas épargnés. Les cent quarante-quatre mille ont traversé la grande épreuve, ils ont été « lavés dans le sang de l’Agneau », c’est-à-dire qu’ils ont connu la mort. Mais ils sont bien ressuscités, comme le Christ dont ils portent le vêtement d’un blanc éclatant. Et apparaît enfin la Nouvelle Jérusalem, la cité aux dimensions, aux formes, aux matériaux parfaits, purs, inaltérables. En son centre, aucun temple, parce que le Temple de Jérusalem a perdu toute utilité lors du sacrifice du Christ (comme le dit clairement Jésus dans l’Évangile), mais l’Agneau blessé et vivant à la fois, image de Jésus, dont la blessure alimente quatre fleuves vers les quatre points cardinaux, c’est-à-dire vers tout le monde connu, ainsi purifié et sauvé.
Bonne Nouvelle et poésie
Ce que l’Apocalypse signifie, c’est donc que l’Église peut être blessée, mais qu’elle survivra, et qu’il en sera ainsi jusqu’au triomphe du Christ, coeur et source d’une Église parfaite et éternelle. L’espoir concerne moins la fin des temps que le présent, la victoire sur l’épreuve, la chute des puissances mauvaises. Cette bonne nouvelle se trouve en bien d’autres livres de la Bible, mais elle est annoncée ici avec une étrange splendeur, une pure et énigmatique poésie, des pluies d’étoiles et un « cavalier pâle », la Femme céleste qui enfante, Gog, Magog, « un silence d’environ une demi-heure» et pour finir, ce cri d’impatience et d’espoir, « Maranatha, viens, Seigneur Jésus ! »
Yves COMBEAU, o. p.
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