Raymond Vidonne arrive au CFRT un jour de mars 1966. Il a 31 ans, un CAP de photo et un début de cursus à l’IDEC. Il est passionné de cinéma et vient de vivre deux ans au grand séminaire d’Annecy. Premier laïc à être engagé à temps complet, il travaillera au CFRT jusqu’en 1998 en tant qu’opérateur image. Témoignage d’un gars de la génération du « cinéma direct » dont le regard marque les archives du CFRT.
La surprise
Lorsque le père Dagonet l’accueille en 1966, il n’en croit pas ses yeux « J’ai vu une caméra 16mm toute neuve. C’était un matériel léger très rare à l’époque ! Le cinéma travaillait avec des caméras 35mm très lourdes sur pieds où il fallait mesurer la distance du sujet avant de tourner. Au CFRT nous n’avions pas envie de ça et cela nous a donné d’un coup une grande liberté. En 1970, nous avions principalement une formation technique pour fabriquer des images. Il n’y avait pas vraiment de réalisateur. Nous fonctionnions en équipe. »
Un style
« Avec Patrice Chagnard, le premier réalisateur du CFRT, nous avons cherché ensemble comment rendre compte du réel de la manière la plus authentique qui soit. Ce n’était de l’ordre ni du son, ni de l’image mais de la Parole… Tout se basait sur la rencontre et sur notre qualité de présence et d’écoute mutuelle. Entre images et paroles, c’était un véritable équilibre à trouver avant de tourner. C’était un assemblage d’autant plus délicat que nous étions tributaires du métrage de pellicule. Il fallait attendre le juste moment pour ne pas gâcher ! Nous étions dans une sorte de symbiose avec le réalisateur et le preneur de son, et nous fonctionnions à l’intuition. »
La réalité
Le matériel avait beau être récent, les moyens étaient limités : « “La débrouille” était notre marque de fabrique. Par exemple nous sommes partis en Inde sans repérage, avec un minimum de bagage et logés chez l’habitant. Je n’ai pas pu emporter mon pied et j’ai tout filmé à l’épaule. À l’époque nous avions droit à 1.000 mètres de pellicule par film, soit 1h30 de tournage pour réaliser un film de 30mn, et pas davantage. En Inde, nous en avons réalisé trois ou quatre : ça faisait de la bobine et du poids dans les bagages… ! Une fois sur place, il a fallu se mettre en recherche. C’était le début de la couleur et j’avais pris de quoi faire un film. Sur place, j’ai décidé que ce serait celui sur le père Laborde (photo ci-dessous) qui en profiterait* car “les pauvres méritaient la couleur” ! À part ça, j’ai tout tourné en noir et blanc sur du film inversible et au montage, nous travaillions sur l’original : il n’y avait pas de copie. Cette aventure dura quatre semaines. »
La rencontre
« Mère Teresa ? Elle était prophète ! Elle était LA charité en quelque sorte. J’ai eu le sentiment de filmer bien plus qu’elle… Nous avions tout à recevoir d’elle. En nous parlant elle ne s’adressait pas à des étrangers ou au technicien qui tenait la caméra, mais à nous directement. Elle nous a interpellés sur notre vocation d’hommes de l’image : c’est ce qui m’a le plus touché ! »
Au final
« Pour réaliser des films pour Le Jour du Seigneur, nous devions être au clair avec ce qui était en jeu. Avoir la foi m’a permis d’avancer dans la bonne direction. J’avais fait deux ans de philosophie et de théologie au grand séminaire. Je n’en ai jamais parlé au CFRT mais cela a été fondateur pour moi. J’y ai vécu une conversion qui m’a portée toute ma vie » nous confie-t-il à 81 ans. « On ne travaillait ni pour nous, ni pour la télé, c’était bien plus que cela. Nous avons été des passeurs. D’ailleurs je me souviens du père Pichard qui nous a dit “toucher la réalité, aller très loin et prendre des risques, voilà ce qu’il nous faut !”. Il était admiratif. Quant à moi, toutes ces rencontres m’ont laissé des traces d’humanité. Nous étions comme des frères entre nous. Ça été une grâce extraordinaire de bosser au CFRT : trente-deux années formidables ! ».
Témoignages
François Gauducheau dit qu’avec Raymond Vidonne il a été « à l’école de la relation » car il en était le maître. Pour la réalisatrice Véronick Beaulieu Mathivet, il était un grand artiste, mystique, sage et sensuel. Vrai pro de l’image, il était surtout un véritable artisan, patient, collaboratif et questionnant : « Il savait regarder les gens, les écouter et les sentir. Il était observateur et avait de l’humour… Je me souviens de ce jour à Jérusalem où il s’est exclamé face à une lumière somptueuse ‘Y a quand même un bon dir-phot là-haut !’ ». François-Xavier Fromenty, assistant réalisayeur, dira de lui « Raymond, nul ne l’a égalé depuis…. Il a été comme un père pour moi. Avec Michel Farin et Patrice Chagnard, ils formaient le trio fatal ! »
* Prier a Pilkhana de François Gauducheau (1972)
Propos recueillis par Marine de Vanssay en juillet 2016 – Les photos sont extraites des archives personnelles de Raymond Vidonne.
Quelques films parmi ceux que Raymond Vidonne a préféré : filmographie sélective
Réalisés avec Patrice Chagnard
Travailleurs à Escaudain (1970)
Quelque chose de l’arbre, du fleuve et du cri du peuple (1980)
Swamiji, un voyage intérieur (1984)
Zen, le souffle nu (1984)
La blessure de Jacob, avec Paul Baudiquey (1991)
La prophétie du bien-aimé, avec Jean Vanier (1993)
La lutte avec l’ange, le retour de Tobi, avec J-P Kauffmann (1995)
Réalisés avec Michel Farin
Baba Simon (1974)
Les deux témoins (1984)
Bienvenue au sec moussaillon (1989)
La colombe et le serpent (1993)
Résistance et pardon, avec Maïti Girtanner (1997)
Réalisés avec François Gauducheau
Se savoir racine, avec Grand-mère Marie (1971)
Matthieu 25-35, Mère Teresa (1973)
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[…] Quand il réalise le film Les migrants en 1971, Patrice Chagnard a déjà tourné plus d’une dizaine de films depuis son arrivée au CFRT-Le Jour du Seigneur en 1966, avec le chef opérateur Raymond Vidonne. […]
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