Rendre sa joie à une église
En octobre 2019, l’église de Bichancourt (Aisne) a reçu le soutien financier du Jour du Seigneur pour la restauration de ses fresques exceptionnelles, grâce au Grand Prix Pèlerin du patrimoine. Coup de projecteur sur des décors originaux, et ceux qui veillent sur eux.
De la nef au chœur, du sol aux voûtes, des fresques. Des ocres, des terres, et des bleus. Des tons forts, francs. Des formes simples, dépouillées. Ici, Jésus sort vainqueur du tombeau ; là, il rencontre la Samaritaine. Sur les bas-côtés, un chemin de croix. La voûte du chœur, dominée par une croix rayonnante, est couverte de plumes de paon. Symbole d’éternité, mais également motifs à la mode à cette époque, qui est celle de l’Art déco.
Une œuvre originale, inventive
Père Yves Combeau, dominicain, historien, est membre du jury qui a décerné le prix Jour du Seigneur du Grand prix Pèlerin du patrimoine 2019 à ces fresques de l’église Saint-Martin de Bichancourt. Il est enthousiaste : « Pour les années 1930, dans une commune rurale de la Picardie, cette œuvre est très originale. Des lignes très simples, presque de l’art primitif ou, si l’on veut, de la bande dessinée. Une grande richesse de couleurs qui donne beaucoup de chaleur à cette architecture banale, et crée un espace chatoyant. Cette œuvre est d’une inventivité rare, abonde-t-il. Une simplicité, une efficacité, une joie du dessin que je trouve uniques. »
Le jury a apprécié la cohérence de ce décor total, presque intact, ce qui est devenu très rare pour une église de cette époque. Et réalisé par un seul peintre, le maître verrier Louis Mazetier (1888-1952), lors de la reconstruction de l’église qui avait été détruite en 1914-1918. Selon la technique de la fresque, il a mélangé des pigments naturels à du blanc d’œufs. Tous les habitants du village y ont contribué, livrant les œufs par brouettes entières ! L’unicité et la grande surface de ce décor en font certainement l’une des plus belles œuvres de l’artiste.
Chef-d’œuvre en péril
Or cette œuvre fut menacée. Toiture de l’église délabrée, gouttières bouchées, vitraux vandalisés… L’eau s’est infiltrée dans les murs. Dans sa chute, leur revêtement, fait de sable de rivière, a entraîné certaines peintures. « Quand tout cela part à vau-l’eau, on se pose des questions, on veut l’empêcher. Voilà ce qui nous a motivés. Nous nous devions de faire revivre l’église ! », s’exclame Carlo Sartori, fidèle paroissien et président des Amis du patrimoine bichancourtois, association créée en 2016, destinée à sauvegarder et faire connaître le patrimoine local. Les bénévoles souhaitent que les fresques soient restaurées à l’identique. Auparavant, il faut assainir les murs. Ils organisent l’ouverture de l’édifice. Avec l’aide de la commune, la toiture est réparée, les chéneaux nettoyés ou remplacés. Plus largement, ils veulent rendre à l’église sa dignité. Entre autres, ils enlèvent plus d’une tonne de fientes du clocher. Ils se démènent et, en 2018, la Direction régionale des Affaires culturelles des Hauts-de-France inscrit les fresques au Patrimoine national, et l’église de Bichancourt au titre des Monuments historiques. « Toutefois, nos finances ne nous permettent pas d’effectuer les travaux nécessaires, reconnaît Carlo Sartori. Afin de recueillir des fonds, nous avons organisé un concert par an depuis 2016 et, en dehors de la période hivernale, une visite commentée tous les premiers samedis du mois. Nous recrutons de nouveaux adhérents. Mais c’est insuffisant. Nous avons fait appel à des mécènes, des souscriptions. »
Des bénévoles récompensés
C’est dans cet élan qu’en 2019, les Amis du patrimoine bichancourtois ont remporté le prix Jour du Seigneur du Grand Prix Pèlerin du patrimoine. « Par ce prix, nous voulions soutenir, outre l’association, une petite commune aux moyens financiers modestes qui s’est mobilisée pour restaurer son église », souligne le père Yves. Prochain objectif : la messe télévisée du 13 septembre. En juin, les bénévoles ont déposé le plancher en chêne de la sacristie, pourri, pour en réaliser un neuf. En août, un nouveau chauffage devrait être installé. Grâce au travail, au dévouement et à la ténacité de ces personnes, l’église de Bichancourt retrouve ses couleurs et sa joie. Les bases étant assainies, les fresques peuvent désormais être restaurées.
Marie-Christine Lafon
Trois questions à Emmanuel Bonnet, directeur général du CFRT, sur le prix Jour du Seigneur du Grand Prix Pèlerin du patrimoine
Qu’est-ce que le prix Jour du Seigneur du Grand Prix Pèlerin du patrimoine ?
Emmanuel Bonnet. – Le Jour du Seigneur est associé au Grand Prix Pèlerin du patrimoine depuis sa création, en 1990. Ce prix soutient artisans, bénévoles et associations locales en participant au financement de projets de restauration de lieux et d’objets du patrimoine français, sélectionnés chaque année par un jury d’experts.
Pourquoi Le Jour du Seigneur est-il associé au Grand Prix Pèlerin du patrimoine ?
E. B. – Le patrimoine des églises constitue le cadre de nos messes télévisées chaque dimanche. Il était naturel de s’associer à cette démarche. À travers les mises en lumière, en images, les réalisations, nous mettons en valeur la beauté de ce patrimoine. Nous souhaitons soutenir les initiatives locales de restauration dans ces églises qui nous accueillent. D’autre part, pour Le Pèlerin, les critères déterminants sont, outre la qualité et l’originalité, la mobilisation d’une équipe autour du projet, la dimension associative. De même, il nous importe que les messes télévisées s’inscrivent dans des réalités paroissiales.
En quoi consiste ce prix ?
E. B. – Nous accordons une dotation de 5 000 € aux lauréats. Même si elle demeure souvent modeste au regard des montants habituels des travaux, le prix constitue un encouragement déterminant pour les structures et les personnes qui se mobilisent. Il permet une couverture médiatique, une visibilité et le soutien des dossiers auprès d’institutions et l’obtention
de subventions.
Visuels : © Mathieu Farcy / Signatures
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